Parfois redoutée, diabolisée, effrayante ou désirée, la césarienne fait parler… L’OMS s’alarme sur ce taux qui augmente drastiquement dans les pays occidentaux. Et en même temps, cette technique révolutionnaire sauve des mères et des enfants. Pourtant les chiffres nous montrent qu’il y a abus.
1) Alors parlons brièvement de chiffres.
Le Lancet¹ a publié une étude montrant que le taux de césarienne entre 2000 et 2015 a doublé dans le monde et est passé de 12 % à 21 %. La moyenne dans les pays de l’OCDE est de 27,9 %. Cela signifierait que presqu’1/3 de femmes auraient besoin d’une césarienne pour donner la vie. l’OMS rapporte que « depuis 1985, la communauté internationale de la santé considère que le taux de césarienne idéal se situe entre 10 % et 15 % ».
Si l’on regarde les chiffres de plus près, l’Allemagne a un taux de césariennes de 30,2 %. Ce taux est plus élevé que celui de la France qui est de 20,8 %. En France, l’utilisation de forceps et de ventouses est beaucoup plus routinière alors qu’en Allemagne, la césarienne serait proposée plus rapidement. L’accouchement par voie basse du bébé en siège et des jumeaux est aussi plus fréquente en France. Je ne me suis pas encore penchée dans les détails sur les différences de pratiques entre la France et l’Allemagne qui expliquerait cet écart de 10 %.
¹ Global epidemiology of use of and disparities in caesarean sections, Ties Boerma, Carine Ronsmans, Dessalegn Y Melesse, Aluisio J D Barros, Fernando C Barros, Liang Juan, Ann-Beth Moller, Lale Say, Ahmad Reza Hosseinpoor, Mu Yi, Dácio de Lyra Rabello Neto, Marleen Temmerman, The Lancet, October 13, 2018
2) Les circonstances de la pratique de la césarienne
La césarienne peut avoir lieu en urgence modérée ou extrême donc se décide au cours du travail, elle peut être programmée pour des raisons médicales ou malheureusement programmée parfois juste par convenance.
Lors des réelles urgences, la césarienne ne se discute pas. Et là, nous sommes convaincus qu’elle sauve des vies. Les urgences graves sont : la rupture utérine, le décollement placentaire, la procidence du cordon, les complications de la prééclampsie comme le HELLP syndrome…. (La liste est non exhaustive). Les signes d’une souffrance foetale peuvent se révéler avec un tracé pathologique du CTG (le cardiotocogramme), une diminution nette des mouvements foetaux et/ ou une perte de liquide amniotique vert méconial. Dans ce cas, en fonction du type de tracé, de l’avancé de la dilatation cervivale et de l’aspect et de la couleur du liquide amniotique, la décision de césarienne peut s’imposer.
Parfois, la césarienne peut être programmée dans les cas suivants : position dystocique du bébé ne permettant pas une voie basse (position de l’épaule ou transverse), certaines présentations du siège, placenta praevia ou accreta, certaines maladies foetales et foetopathies, antécédents ou pathologies graves chez la mère…
Après, il y a une frontière grise où des césariennes sont proposées et on se demande si l’indication médicale était réellement nécessaire :
Gros poids du bébé ? Mais quelle est la taille des parents ? Comment réellement évaluer la taille d’un bassin alors que les os du bassin forment un losange et que les diamètres sont très variables en fonction de la position adoptée par la mère. Vous allez être surprise mais la position chasse-neige, celle où on rentre les genoux, ouvre le détroit inférieur du bassin donc favorise réellement la sortie du bébé et la préservation du périnée. De plus, les fontanelles du bébé sont malléables et se moulent au bassin maternel. Dans certains cas, le bébé est réellement gros, on parle de macrosomie si on estime ce bébé à plus de 4,5 Kg. Cette macrosomie est souvent associée à un diabète gestationnel. Le poids du bébé est estimé grâce à l’échographie mais il y a environ 500 mg de marge d’erreur. Après avoir demandé deux avis médicaux et donc avoir eu deux estimations de poids réalisées par deux gynécologues différents, la voie d’accouchement peut être discutée. Mais l’erreur dans l’estimation du poids est fréquente et beaucoup trop de césariennes sont pratiquées chez des bébés qui auraient pu naître par voie basse. Dans le cas d’une suspicion de macrosomie, proposer éventuellement un déclenchement à 39 sa au lieu d’une césarienne systématique serait plus judicieux.
J’ai déjà entendu l’indication du cordon autour du cou ? Alors là, j’ai envie de dire qu’on joue avec les peurs des parents. Cela est très impressionnant d’imaginer son bébé « s’étrangler » avec le cordon. La plupart du temps, le cordon ombilical est plutôt lâche et cela ne contre-indique pas l’accouchement par voie basse. D’autant plus que le bébé n’a pas de respiration pulmonaire. Une étude² publiée en 2018 dans le journal américain d’obstétrique et de gynécologie montre que 20 % des bébés naissent avec le cordon autour du cou et que lorsque celui ne fait qu’un tour, il n’y a pas d’incidence sur le déroulement de l’accouchement. Lorsque j’ai travaillé en salle d’accouchement, cela m’est arrivé souvent de découvrir le cordon au moment de la sortie de la tête et nous avions aucun signe de souffrance foetale au CTG.
L’antécédent d’une césarienne augmente le risque d’avoir une deuxième césarienne mais celle-ci ne doit pas être proposée systématiquement. Aujourd’hui les accouchements voie basse après césarienne (AVAC) sont fréquents. Donc le seule fait d’avoir eu une césarienne n’est pas une indication pour avoir une deuxième césarienne.
² Multiple nuchal cord loops and neonatal outcomes, Hanoch Schreiber, Yair Daikan, Nissim Arbib, Ofer Markovitch, Arie Berkovitz, Tal Biron-Schental, Meir medical center Kfar saba and SacklerSchool of Medicine, Tel Aviv University, Tel Aviv, Israel, 2018
3) Et quand la femme choisit d’avoir une césarienne ?
C’est vrai que chacun peut disposer de son corps et que le dernier mot doit revenir à la femme qui accouche. C’est dur, en tant que sage-femme, d’entendre, qu’une femme veut une « césarienne de confort ». Je pense que notre rôle est de donner le maximum d’information, de discuter avec la femme et le couple, d’être honnête sur les complications éventuelles pour maman et bébé et d’être à l’écoute et d’entendre les peurs. Après, si ce couple choisit de manière « éclairée » d’avoir recours à une césarienne, je pense que nous devons aussi accepter. Nous ne connaissons pas l’histoire de cette femme, ce qu’elle a vécu dans son enfance et sa vie. La grossesse et l’accouchement sont des moments où des traumatismes passés peuvent resurgir.
En réalité, la situation qui me dérange le plus est quand cette décision de césarienne de convenance est orientée par le gynécologue. « Madame, vous pouvez choisir la date de naissance et organiser vos vacances ! ». « Oh catastrophe, le bébé a le cordon autour du cou, on organise la césarienne dans 2 semaines ». « Au moins, vous préserverez votre vie sexuelle ! »…
4) Retraçons brièvement l’histoire de la césarienne
En rappel, la césarienne est une intervention chirurgicale permettant la naissance du bébé en incisant la paroi abdominale et l’utérus.
En lisant l’histoire de la césarienne depuis l’antiquité, je me suis rendue compte à quel point celle-ci a toujours été un sujet de société. Je suis assez chamboulée en me mettant à la place de ces femmes, pour qui la maternité signifiait souvent le vécu d’une situation à haut risque vital. Alors que dans les pays développés d’aujourd’hui, la mortalité maternelle et infantile est devenue assez rare grâce au suivi prénatal, aux connaissances médicales, à l’avènement des antibiotiques et des techniques d’anesthésies et bien sûr la césarienne moderne.
La césarienne a toujours existé et dans toutes sociétés. Comment sauver la mère et son bébé lors de complications graves pendant la naissance ? Cela soulevait de lourdes questions éthiques.
Pendant l’antiquité, l’acte de la césarienne post-mortem a été pratiquée dans le but de sauver l’enfant. C’était un geste héroïque et si l’enfant survivait, il était presque déifié.
Au Moyen-Âge, dans le monde chrétien, l’urgence est de pouvoir baptiser l’enfant. Donc si la mère décédait au cours de l’accouchement, l’enfant était extrait pour le baptiser au plus vite en vue de son salut. Il s’avère que ce geste n’ait pas été pratiqué systématiquement. La technique jusque là consistait à réaliser une incision verticale de l’abdomen.
Pendant la renaissance, c’est en l’an 1500 que le premier cas de césarienne sur femme vivante a été reporté. C’est Jacob Nufer, un châtreur de porcs en Suissse qui aurait réalisé cet exploit. François Rousset, contemporain du XVIème siècle est considéré comme le « père de la césarienne ». Il y a décrit de façon très précise la technique de l’incision de la peau, des muscles, de l’utérus puis l’extraction de l’enfant avec le placenta. Il préconisait par contre de ne pas recoudre l’utérus mais juste la peau de l’abdomen. L’utérus se rétracte mais en réalité les femmes mourraient d’hémorragie et de septicémie.
Au XVII ème siècle, François Moriceau adopte une autre position en privilégiant la vie de la mère à celle de l’enfant. Il s’insurge contre cette volonté de faire une césarienne à tout prix. La mortalité maternelle est une suite logique suite à cet acte et l’enfant a très peu de chance de survivre. Si la voie basse était impossible, le fœtus devait être sacrifié et extrait par voie vaginale.
Les temps modernes sont marqués par une accélération des techniques et innovations médicales.
A la fin du XVIII ème siècle émerge l’idée de la suture de l’utérus après la césarienne mais cette conception est vite critiquée. Rappelons nous, l’utérus était laissé ouvert (méthode de Rousset) et nous espérions qu’il allait se rétracter tout seul et se cicatriser.
En parenthèse, l’accouchement à domicile est la norme et les femmes qui ont à l’époque la malchance d’accoucher à l’hôpital ont un risque beaucoup plus élevé de mourir, souvent d’hémorragie et de fièvre puerpérale. Le lavage de mains est un geste inconnu des médecins. Nous pouvons dire merci à Ignace Semmelweiss d’avoir fait le lien entre lavage de mains et diminution des infections. Car à l’époque, ces mêmes médecins qui pratiquaient des autopsies, pouvaient pratiquer les gestes d’accouchement directement après.
Au XIX ème siècle, Edoardo Porro propose la solution d’enlever systématiquement l’utérus (hytérectomie) après la césarienne. Cela a l’effet de diminuer effectivement la mortalité maternelle mais condamne la femme a ne plus avoir d’enfants.
Max Sänger, un allemand contemporain du XIX ème siècle met au point la suture utérine. L’amélioration de la technique est concomitante aux progrès de l’anesthésie et des gestes d’asepsie. Ainsi la mortalité maternelle chute à 10 %. Cependant, le risque de rupture utérine est élevé lors des grossesses ultérieures.
Au début du XX ème siècle, la technique est encore améliorée par la réalisation d’une incision transversale basse du segment de l’utérus. Cela a eu pour effet direct de diminuer le risque infectieux et le risque ultérieur de rupture utérine.
Le XX ème siècle est aussi marqué par la découverte des antibiotiques.
Ainsi la césarienne moderne a moins d’un siècle. Aujourd’hui, cette opération chirurgicale est pratiquée au quotidien.
5) La technique de la césarienne moderne
La technique de Pfannenstiel est la plus couramment utilisée. L’incision horizontale se situe juste au dessus de l’os pubien et mesure environ 10 cm. Je trouve que la cicatrice est discrète et plutôt esthétique. La durée moyenne de la totalité de l’intervention est de 25 minutes. Aujourd’hui, la technique est maîtrisée et routinière.
La césarienne est une intervention chirurgicale. Donc la future maman doit être préparée pour la chirurgie. La femme dois être à jeun. La zone pubienne est rasée et la maman prend une douche avec un savon désinfectant. Elle portera la blouse de l’hôpital, ouverte dans le dos et une charlotte. L’ordre des étapes préparatoires peut changer en fonction des établissements. Un cathéter veineux est posé et une dernière prise de sang peut être effectuée. Une sonde vésicale est aussi installée. C’est un petit détail, met on met toujours un bracelet d’identification de la patiente à son poignet. Le bien-être foetal doit être bien sûr vérifié avec 30 minutes de CTG avant de descendre au bloc opératoire.
Le papa peut généralement assister à la naissance de son enfant et devra lui aussi porter une tenue adéquate avec charlotte, masque et chaussures spéciales. La maman va être précisément monitorisée avec un contrôle continu de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque et la saturation en oxygène. La rachianesthésie consiste en une anesthésie locale de la partie inférieure du corps. Ce geste ressemble à celui de la péridurale. C’est une piqûre dans le dos. Cette technique d’anesthésie est utilisée dans la majorité des cas. Si la décision de césarienne est prise en cours du travail de l’accouchement et qu’une péridurale a déjà été posée, l’anesthésiste n’a pas besoin de repiquer la maman et utilise ce même cathéter. C’est dans les situations d’extrême urgence qu’une anesthésie générale a lieu. Des tests au froid et à la pression sont réalisés pour être sûr que la maman ne ressente rien mais elle va rester consciente tout le long de l’opération. Des champs sont installés afin que les parents ne voient pas tous les détails de l’opération. La maman reçoit des antibiotiques en intra-veineux au cours de l’opération.
Entre l’incision et la sortie du bébé, il ne se passe que quelques minutes. Le gynécologue extrait le bébé et son placenta, clampe et coupe le cordon, réalise souvent déjà une première aspiration de la bouche et du nez de l’enfant puis la sage-femme réceptionne le bébé. On présente rapidement le bébé aux parents mais le pédiatre nous attend de pied ferme pour vérifier la bonne adaptation du bébé à son nouveau milieu aérien et donc assister le bébé s’il montre des signes de détresse respiratoire par exemple. Les voies respiratoires du bébé sont de nouveau aspirées. Lors d’un accouchement par voie basse, un drainage a lieu par compression du thorax du bébé dans le bassin. Lors de la naissance par césarienne, les voies respiratoires sont pleines de liquide amniotique, ce qui est totalement physiologique in utero car le bébé reçoit l’oxygène et les nutriments par le placenta. Une fois que l’on est sûr que le bébé va bien, le peau à peau avec maman est encouragée. Pendant ce temps là, le gynécologue suture.
La maman devra rester au moins deux heures en salle de réveil. C’est le protocole après toute opération chirurgicale. La mobilité et la sensibilité doivent revenir assez rapidement. La gestion de la douleur post-opératoire sera la priorité. Des antidouleurs seront injectés par voie veineuse. Ces médicaments ne contre-indiquent pas la mise au sein en salle de réveil.
Si la maman est stable, elle peut revenir dans sa chambre. Le premier lever aura lieu dans les heures qui suivent l’opération. La sonde vésicale sera retiré et on sera attentif à la reprise de la miction spontanée.
La période post-opératoire n’est pas évidente pour la majorité des mamans car elles doivent se remettre de l’opération tout en répondant aux besoins de l’enfant. Certaines mamans ont un bon vécu post-opératoire et peuvent se mobiliser rapidement sans trop de douleur. Mais notons quand même que dans la majorité des cas, lors des premiers jours, la cicatrice tiraille, le bas ventre est sensible et que porter son bébé pour le changer ou le mettre au sein est un vrai challenge. La présence du papa est encouragée au maximum. N’hésitez pas à solliciter l’équipe médicale pour vous aider à bien positionner votre bébé pour l’allaitement et à vous aider à varier les positions. Vous recevrez systématiquement, les premiers jours, un anti-coagulant en sous-cutané. Vous pourrez d’abord boire puis manger environ 6 heures après l’opération.
Les protocoles pré, per et post-opétatoire suivent des recommandations internationales et ne laissent aucune place à l’improvisation. Avoir une césarienne devient banal dans le paysage de la naissance. Cependant, n’oublions pas que cette intervention comporte des risques pour maman et bébé.
6) Les risques de la césarienne
Même si la césarienne semble banale aujourd’hui, celle-ci comporte plus de risques qu’un accouchement voie basse. D’après une étude ³ publiée dans le Collège américain de gynécologie et d’obstétrique, le risque de mortalité maternelle lors d’un accouchement par césarienne est de 4 à 5 fois supérieur par rapport à un accouchement par voie basse.
Les risques principaux à court terme pour la maman sont : l’hémorragie, l’infection de la suture ou de l’utérus, la phlebite, l’embolie pulmonaire et l’occlusion intestinale.
Les risques principaux sur le long terme sont : la rupture utérine lors d’une grossesse ultérieure, une deuxième césarienne, une grossesse extra-utérine, un placenta praevia ou accreta
Les risques principaux pour le bébé sont : la détresse respiratoire, désavantage pour l’immunité par l’absence de contact avec la flore vaginale de la mère et des facteurs épigénétiques.
³ Deneux-Tharaux C, Carmona E, Marie-Hélene BC, Gérard B. Postpartum maternal mortality and cesarean delivery. Obstetrics & Gynecology. 2006
En conclusons, je vous souhaite un accouchement qui vous correspond. On n’est pas « moins mère » si on a accouché par césarienne. En revanche, ce qui m’inquiète aujourd’hui est le fait que la césarienne soit devenue une extrême banalité. C’est comme si, nous mettions au même niveau, un accouchement par voie basse et une césarienne. Je vois néanmoins, un changement de mentalité dans notre génération, c’est à dire les gens nés dans les années 80-90 par la recherche d’information et par la volonté de discuter d’égal à égal avec le professionnel de santé.
À noter : Les conseils personnalisés de votre gynécologue ou de votre sage-femme prévalent. La décision de césarienne doit être argumentée et si vous n’êtes pas convaincues, je vous conseille de demander un deuxième avis médical.
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